Minute culture avec Stéphane Bern
Tous les jours à l’heure du goûter ; Stéphane Bern et Matthieu Noël, entourés de leurs chroniqueurs, nous régalent d’anecdotes historiques. Ils revisitent avec humour et bonne humeur la grande Histoire comme la petite et nous font découvrir des destins extraordinaires de personnalités qui ont marqué l’Histoire.
Vous co-animez actuellement tous les jours de la semaine avec Matthieu Noël l’émission « Historiquement vôtre » sur Europe 1.
Cette émission c’est moi. Elle rejoint ma passion, l’Histoire, mais sur le ton de l’humour qui est un mode de communication qui me représente bien. Traiter l’Histoire de façon à la fois humoristique sur la forme et didactique sur le fond, c’était un pari qui me plaisait. Cette émission arrive par la magie de la radio et ses mystères à faire se rencontrer trois personnages qui n’auraient jamais dû se croiser, mais qui ont tous les trois un point commun.
Europe 1, depuis le départ de mon ami Franck Ferrand, n’avait plus d’émission d’Histoire. Et comme on était sur la tranche horaire de Matthieu Noël et que je rêvais de faire cette émission avec lui, cela s’est fait tout simplement. C’est vraiment un bon moment, où l’on s’amuse bien, où l’on raconte plein de choses ; l’histoire d’une invention, l’histoire de la gastronomie, celle d’une recette, ou d’une expression française. Cette aventure radiophonique a commencé en septembre et on espère qu’elle va continuer encore longtemps.
Vous êtes un passionné des familles royales, d’où vous vient cette passion ?
Je suis d’origine franco-luxembourgeoise. On a tous un royaume enchanté de l’enfance, un endroit où l’on se sent plus heureux et pour moi c’était chez mes grands-parents luxembourgeois. Et dans mon cas, mon royaume d’enfance était un vrai royaume, celui du Grand-Duché du Luxembourg.
Vers mes 10 ans, j’ai demandé à mon père : « Pourquoi en France on n’avait pas de Grand-Duc ? » et j’étais très surpris et très déçu de cette situation. Je me suis alors intéressé à notre dynastie luxembourgeoise avec toutes les cours d’Europe, et de fil en aiguille à la monarchie en général. Mon premier papier comme journaliste était sur la mort de la Grande Duchesse Charlotte de Luxembourg en juillet 1985, et dans le même temps, j’ai écrit un autre papier sur le Luxembourg. Au fond, c’est le Luxembourg qui a souvent décidé de ma carrière.
Après 15 siècles de monarchie, quel est le siècle qui vous a le plus marqué ?
Sans faire de différence entre monarchie et république, le siècle qui m’intéresse le plus est sans nul doute le XIXe siècle. D’abord parce que je suis un indéfectible romantique et le romantisme du XIXe me plait beaucoup.
Mais c’est aussi parce que c’est le siècle de mes auteurs de prédilection : Flaubert, Balzac, Zola, Victor Hugo, Lamartine, Vigny, Musset ou encore Georges Sand. Ils traitent à la fois des nouvelles réalités sociales et industrielles (avec l’Assomoir, Germinal,…) et de leurs conséquences : les ravages de l’industrialisation, la condition des ouvrières et ouvriers, mais aussi la naissance des libertés.
Mais ce siècle c’est aussi l’émergence des états-nations : la Grèce qui devient indépendante (pays que j’aime beaucoup), l’Italie, l’Allemagne. C’est véritablement le bouillonnement et la richesse que ce siècle apporte par tous ces changements qui me passionnent le plus.
De tous les rois et reines de France, lequel vous a le plus marqué ?
J’ai toujours eu une passion pour Henri IV parce qu’il est le roi unificateur, le pacificateur. C’est sans doute, si on y regarde de plus près, celui qui a l’esprit le plus français : un peu gouailleur, un peu râleur, un peu dragueur. Aujourd’hui, il ne passerait plus avec #metoo ; il aurait eu de sérieux ennuis avec Charlotte de Montmorency qui avait à l’époque 15 ans (rires). Mais il faut le remettre dans son contexte, celui du XVIIe siècle.
J’ai aussi de la tendresse pour Louis XVI qui était un roi intelligent mais qui n’a pas su comprendre les événements, peut- être parce que j’aime les vaincus de la vie. Est-ce qu’il méritait la mort ? Je ne pense pas.
Aimeriez-vous le retour de la monarchie ?
Mais nous vivons dans une monarchie républicaine ! Pourquoi vouloir le retour de la monarchie, puisque nous sommes en « monarchie républicaine ». Les Français donnent au Président de la République les pouvoirs d’un roi. Nous sommes dans une « république monarchique » en fait. La Ve République, voulue par le Général De Gaulle, est d’essence monarchique.
Y a-t-il alors une grande différence avec les monarchies d’Europe où le pouvoir revient au peuple et qui sont donc des démocraties, où c’est le parlement qui décide avec le gouvernement, les pouvoirs royaux étant octroyés au Premier ministre. Il y a une forme de démocratie dans les monarchies qui nous environnent puisque le pouvoir revient toujours au peuple.
Vous êtes très engagé pour sauver le patrimoine français. Pourquoi un tel
engagement ? Qu’est-ce qui vous porte ou vous motive ?
Ce qui me motive c’est que le patrimoine est porteur d’identité, d’Histoire, de culture
et qu’il est très attaché à la vie des gens. A Paris on a une vision très particulière du patrimoine. On imagine ces grands monuments, majestueux et en parfait état. Paris est une ville, mais une ville-état, c’est-à-dire qu’on y trouve tous les grands monuments nationaux (de même que dans ses environs). Les monuments y sont plutôt bien entretenus, soit par la ville, soit par l’État.
En dehors de Paris, la réalité est plus ambivalente. En effet, 52% de notre patrimoine se trouve dans des communes de moins de 2.000 habitants. C’est donc dans les campagnes que le patrimoine est le plus menacé. Et c’est la vie des gens le patrimoine, c’est souvent la seule source de revenu d’un village, la seule chose à visiter : l’église, le château, l’abbaye, le monument historique. Cela crée à la fois de la convivialité, mais surtout de l’économie grâce aux touristes qui viennent voir le patrimoine.
Vous avez d’ailleurs acheté et restauré le Collège royal et militaire de Thiron-Gardais en 2013 ?
En effet, le domaine appartenait au département d’Eure et Loire. Il était à l’abandon et tombait en ruine. Le département l’a vendu au prix des domaines c’est-à-dire au prix d’un studio parisien. Et ensuite, il faut s’investir, investir ses moyens, son temps et son énergie pour le remettre en état et l’ouvrir au public. Le patrimoine ça se partage.
La crise sanitaire va-t-elle avoir un impact négatif sur la préservation de notre patrimoine ? Et si oui, le ou lesquels ?
Elle a un impact négatif, c’est que les musées et les lieux du patrimoine sont fermés au public actuellement. S’il n’y a pas de touristes, s’il n’y a pas de visiteurs, il n’y a pas de rentrée d’argent et l’on ne peut pas engager de travaux. Et la conséquence pour tous les métiers si l’on n’engage pas les travaux, c’est 35.000 artisans qui sont à l’arrêt.
Économiquement, on crée beaucoup de malheur. La plupart n’ont pas droit aux aides de l’État, ils sont autoentrepreneurs, et ça pose un certain nombre de questions. Je plaide pour la réouverture des sites patrimoniaux où la distanciation sanitaire est tout à fait possible. Dans un musée, on est quand même moins agglutiné que dans les supermarchés.
Quel bilan tirez-vous de ces années à la mission pour le patrimoine?
Le bilan est clair, c’est qu’en moins de trois ans on a récolté 127 millions d’euros et sauvé 250 monuments. On peut m’accuser de tous les maux, mais au moins j’aurais fait ça dans ma vie. Et je l’ai fait avec la confiance des Français. Le loto du patrimoine n’est pas un impôt, il n’a rien d’obligatoire, c’est une contribution personnelle. Les Français ont entendu mon appel et ils ont « joué » le jeu, en achetant des tickets et des grilles de loto en sachant que cela allait sauver des monuments.
Un mot pour terminer ?
La crise est terrible pour tout le monde. Mais il faut garder espoir. Il faut accompagner
les changements qui nous sont imposés. Il faut redessiner, ré-imaginer notre avenir et surtout il ne faut pas que demain ressemble à hier. C’est ma philosophie.
Les gens veulent reprendre d’urgence la vie d’avant. Mais je ne pense pas que cela soit possible, ni très bénéfique. Au contraire, il faut profiter de cette terrible crise pour imaginer un « autre monde » comme le chantait le Groupe Téléphone. Un autre monde que j’imagine avec moins de consommation, moins de gaspillage. On est à l’ère du clash et du clic, il faut aller vers plus de bienveillance et d’humanité.
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