Menu
Culture / Litterature

Les 9 vies d’Ezio : au cœur de l’immigration italienne

Pourquoi lit-on un récit de vie ? Pour s’attacher au personnage ? Dans le but de nous connecter à l’existence telle qu’elle est, sans attendre de paillettes ou d’artifices ? Se plonger dans la réalité historique d’un contexte particulier ? Les 9 vies d’Ezio est un roman qui a été publié en 2020 aux Éditions des Auteurs des Livres. L’écrivain derrière ce témoignage est Jean-Marie Darmian, qui n’est autre que l’héritier d’Ezio, le personnage central, autour duquel tout gravite dans ce livre. On pourrait penser que la dernière demeure d’un défunt est sa sépulture : pour le cas de Monsieur Baziana, on considère que c’est plutôt ce récit qui retrace son existence et ses grands épisodes.

Les 9 vies d’Ezio

Tout débute avec ses parents, la forte et très croyante Gesuina et son époux Giovanni, envoyé à la guerre en 14-18. Fort heureusement, le père survit à la violence de la Première Guerre, et retrouve sa famille. Le gamin progresse rapidement à l’école et réussit tous ses examens, dont le très convoité certificat d’études : on a tous un grand-père ou une grand-mère qui nous a parlé de ce « Graal » ! Avec le recul, on pourrait considérer que le jeune Ezio était un surdoué. Ses résultats brillants auraient pu être récompensés, si seulement le racisme n’avait pas gangrené l’Europe. C’est simple : on a nié le génie d’un petit gars intelligent, parce qu’il était Italien. C’est honteux, immonde, mais surtout très attendu. C’est vrai : l’évolution d’un enfant né en 1915 est synonyme d’une traversée du désert, surtout quand on est étranger et partagé entre deux pays comme la France et l’Italie. Le livre nous transporte avec des saveurs à la table italienne, tout y passe et on a très faim, rien qu’en lisant la description d’un dîner. Ce sont des senteur et des expériences liées surtout au jeune âge d’Ezio, car à partir du moment où il fuit l’Italie, afin d’éviter l’enrôlement général, l’innocence du garçon se retire, au profit d’une ambition aussi solide que celle de son défunt père. Ce qu’on peut saluer chez un grand Monsieur tel qu’Ezio, c’est sa persévérance à toute épreuve. Papa est mort ? Il deviendra médecin. Il demande la main de Yolande ? Elle accepte ! Les derniers chapitres du livre portent sur la vie dans un camp de travail, un quotidien qui a été celui de milliers de français souffrant du régime de Vichy. Comme le rappelle l’auteur à la fin de l’ouvrage, ce sont des noms bien français qui ont décidé d’envoyer leurs propres hommes à la mort : on a en tête à cette affiche de propagande terrible aux teintes rouges et ce message glaçant : « ils donnent leur sang, donnez votre travail », pour « sauver l’Europe du bolchévisme » (1943).

Un parcours époustouflant

Le parcours d’Ezio est digne de montagnes russes. On espère avec lui, on envisage l’avenir à ses côtés. Parfois, la lecture m’a semblé déformée et idéaliste, tant Ezio est décrit comme un héros à part entière. Et si c’était ça, le problème de la pensée actuelle ? Croire qu’il n’existe plus de personnes suffisamment courageuses, pour oser se battre pour des valeurs qui leur sont chères ? La fin m’a particulièrement marqué, parce qu’on croit que cet Ezio malade, revenu d’Allemagne va s’effondrer dans les bras de sa jeune et douce épouse ! Eh bien non, Ezio survit, il décède en 2009.

Une lecture recommandée

Si on me demandait si j’ai aimé ma lecture, je vous répondrais un GRAND OUI. Pourquoi devrait-on uniquement s’abreuver d’histoires alambiquées avec de grandes ambitions, quand le chemin authentique d’un homme est à ce point passionnant ? On regrette presque qu’Ezio ne se soit pas exprimé à la première personne, afin de créer un lien direct avec celui qui parcourt les pages. Je pense que c’est un soupçon d’intensité supplémentaire qui manque, à ce récit déjà fort de caractère. Le style est fluide et suffisamment développé pour nous embarquer à bras le corps. Il existe tant d’épisodes dans ce livre qui méritent d’être reconnus, mais celui qui m’a bouleversé est sans doute les retrouvailles entre Helmut Klotz et Ezio, après la libération. Car Ezio n’oublie pas, il tient à remercier celui qui a cherché à le sauver pendant son procès, où il a été injustement accusé de trahison et de sabotage. Son collègue s’était empressé de le défendre farouchement face aux représentants de l’Allemagne nazie. Cela n’avait pas suffi à le disculper, mais au moins, le pauvre a évité la pendaison de justesse. Alors que les deux hommes se sont retrouvés, cette rencontre unique sera la seule entre ces individus : son « tout dernier contact avec l’Allemagne », du côté d’Ezio. Klotz refuse les remerciements du médecin, on devine dans cette défense une émotion palpable et une grande preuve d’humilité. Les 9 vies d’Ezio est un roman organique, où l’on adore visualiser, sentir et entendre ce qu’on lit. Si la mère Gesuina est peu démonstrative, tout passe par les actions et les paroles. Car oui, l’Italien est une langue qui se vit : l’Italie, une terre où l’on mange, où l’on danse et où l’on se repose. Dans ces souvenirs douloureux où la France s’assimile au rejet, le retour aux sources soulage le lecteur autant qu’il apaise les tourmentes d’Ezio.

Un roman qui mêle histoire et l’Histoire

Ce roman n’est pas à mettre entre toutes les mains : afin d’en savourer toute la puissance, vous aurez besoin d’avoir un peu de « back-up » historique, surtout concernant le fascisme italien, la France de Vichy et la Gestapo ainsi que le STO et ses officiers SS. Avec un minimum de références, ce texte pourrait être un sujet de prédilection à présenter à des lycéens, dans le but qu’ils puissent saisir toute l’importance d’un héritage littéraire comme celui-ci. L’oubli est le pire ennemi de l’être humain : ce n’est pas la mort qui détruit, le souvenir maintient éternellement. J’applaudis l’initiative de l’auteur Jean-Marie Darmian, ancien maire de la ville de Créon, qui, mieux qu’une stèle funéraire ou qu’un mausolée sans âme a su bâtir un hommage touchant à l’égard de son ancêtre, tout en dressant un portrait glaçant d’une Europe fracturée, en plein conflit avec elle-même.

 

Le site de l’auteur du roman « Les 9 vies d’Ezio » : https://jeanmarie-darmian.fr/

No Comments

    Leave a Reply