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Litterature

La minceur est devenue un marché mondial – Entretien avec Julia Azzi, co-autrice du Business de la Minceur

Minceur, médicaments et conditionnement : Julia Azzi décrypte une industrie sous influence

Le culte de la minceur, loin d’être un simple phénomène de mode, est devenu un véritable marché mondialisé, structuré par des intérêts économiques colossaux. Médicaments détournés de leur usage initial, injonctions esthétiques persistantes, influence grandissante des réseaux sociaux… le sujet méritait d’être exploré en profondeur.

C’est ce qu’ont entrepris Julia Azzi co-autrice, et Catherine André, journaliste économique à LCI, dans une enquête fouillée et incisive sur les rouages de l’industrie de la minceur. Intriguées par le succès fulgurant de traitements comme l’Ozempic ou le Wegovy, elles ont décidé de remonter le fil de cette nouvelle obsession sociétale, entre promesses de transformation et risques bien réels.

Dans cet entretien, Julia Azzi  revient sur les dessous de ce business florissant, la construction historique et culturelle des normes corporelles, et livre un regard lucide – parfois révolté – sur un système qui façonne nos corps autant que nos esprits.

Votre parcours de journaliste vous a menée à enquêter sur de nombreux sujets de société. Qu’est-ce qui vous a poussée à explorer spécifiquement le business de la minceur ?

Julia Azzi

Julia Azzi: Catherine André, ma co-autrice et amie de longue date est journaliste Economie sur la chaîne LCI. Dans le cadre de son travail, elle suit attentivement les tendances de marché et s’est rendu compte que certains laboratoires pharmaceutiques (Novo Nordisk et Eli Lilly) affichaient des capitalisations boursières incroyables grâce à des médicaments comme l’Ozempic, le Wegovy ou le Mounjaro … ça nous a intriguées et nous avons décidé de creuser. 

Catherine André

Puis, nous nous sommes rapidement rendu compte que la folie autour de l’Ozempic ou des médicaments anti-obésité ne pouvait pas se comprendre sans dézoomer l’objectif et questionner la place de la minceur dans la société. On peut le déplorer mais la minceur reste le graal à atteindre … et de nombreux industriels, conscients des énormes perspectives de profits, surfent dessus depuis des années.

 Au fil de vos recherches, qu’est-ce qui vous a le plus surprise ou révoltée dans les stratégies de l’industrie de la minceur, notamment avec l’arrivée de médicaments comme l’Ozempic ?  

Julia Azzi: L’Ozempic est à l’origine un médicament du laboratoire Novo Nordisk contre le diabète. Il a donné naissance par la suite au Wegovy, puis un autre laboratoire (Eli Lilly) a développé le Mounjaro, deux médicaments contre l’obésité. 
Ce sont des médicaments, c’est à dire des produits que l’on prend quand on est malade. 
Cette course effrénée vers la minceur détourne ces médicaments de leur raison d’être et en font des produits cosmétiques, au même titre que le botox ou l’acide hyaluronique ! 
Or, si les médecins semblent formels sur le fait que le calcul coûts/bénéfices est positif pour les personnes en obésité sévère ou morbide, ce n’est pas le cas pour les personnes en surpoids ou qui veulent juste perdre quelques kilos ! Ces médicaments peuvent avoir des effets secondaires graves !
Sans compter que la prise de médicaments par des personnes n’en ayant pas besoin entraine une pénurie de traitements qui nuit à celles qui sont réellement malades ! 

Avec votre regard critique et votre expérience, diriez-vous que cette quête du corps parfait est avant tout un conditionnement économique, plus qu’un enjeu de santé ?

Julia Azzi: Je dirais que c’est un conditionnement sociétal, héritage d’un système ancestral et patriarcal selon lequel notre physique détermine notre valeur ! Depuis la Grèce Antique, on associe physique et moralité : les corps minces sont considérés comme nobles et vertueux et les corps gros, comme dépravés ! 

Dans notre livre, nous retraçons d’ailleurs l’histoire de la minceur, de l’Antiquité à nos jours : c’est édifiant de constater à quel point la société a toujours assujetti les corps des femmes à des critères inatteignables. 
L’économie capitaliste dans laquelle nous évoluons n’a ensuite fait que surfé sur la vague ! Elle suit les lois du marketing avant de suivre celles de la nutrition ! 
Quand on voit certaines tendances, comme actuellement la Skinny Tok, qui font la promotion de la maigreur extrême, on se dit que les considérations de santé sont bien loin. 

 Comment votre propre parcours influence-t-il votre vision de la minceur, des normes corporelles et de la pression sociale véhiculée par les médias et les réseaux sociaux ?

Julia Azzi: C’est un long travail de déconstruction ! D’autant plus que Catherine (ma co-autrice) et moi avons grandi dans les années 90/2000, l’âge d’or de la maigreur !
J’évolue dans la presse féminine depuis plus de dix ans, je suis donc consciente des injonctions contradictoires qu’elle peut véhiculer : des dossiers Body Positive côtoient des séries Mode mettant en scène des mannequins filiformes ou des pub pour des crèmes amincissantes ! Je pense réellement que la presse féminine est sincère dans sa volonté de mettre en lumière de nouveaux modèles … mais il y a malheureusement encore des réalités économiques auxquelles elle doit se soumettre.
En France, les médias ne montrent quasiment que des femmes taille 34 alors que les tailles les plus vendues sont 40 et 42 et que 4 femmes sur 10 s’habillent au moins en taille 44 !
Nous avons essayé avec ce livre de montrer le conditionnement auquel nous sommes soumises.

Après avoir déconstruit les discours de l’industrie et mis en lumière les dérives, que diriez-vous aujourd’hui à quelqu’un qui se sent prisonnier des injonctions liées au poids ?

Julia Azzi: Je lui dirais déjà qu’il n’est pas le seul puisque 1 français sur 2 est complexé et que 6 femmes sur 10 souhaitent maigrir (étude Ifop x Voyageurs du Monde 2023) !
Plus sérieusement, je lui dirais que je comprends puisque ces injonctions tirent partie de nos faiblesses intimes et jouent sur notre corde sensible, sur notre peur d’être rejeté.
Mais le poids n’est qu’un chiffre qui ne définit pas qui nous sommes ou ce que nous valons. Notre corps évolue, change, se modifie au cours de notre vie, ne partons pas en guerre contre lui et faisons-en un allié. Brûlons notre balance plutôt que nos calories !
Après, si ce sentiment devient obsédant et les comportements obsessionnels, le risque est de développer des TCA et auquel cas, il faut demander de l’aide au corps médical.
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