Dorothée Salat nous parle de son livre Emmuré(s) Vivant(s) , relatant son histoire d’amour émouvante
Dorothée Salat, vigneronne et propriétaire du Domaine de La Grande Bauquière, a décidé de raconter son histoire poignante dans un livre, “Emmuré(s) Vivant(s) “, sortie aux éditions Plon.
Synopsis : C’est l’histoire d’un couple fusionnel à qui tout réussit jusqu’au jour où un mal irréversible les frappe au cœur. La maladie de Charcot détruit un à un les muscles d’Alain. Il faut veiller sur lui chaque heure du jour et de la nuit, écouter le souffle mécanique de l’appareillage, ventiler ce corps inerte, le nettoyer, deviner ce que le regard réclame en silence. Son épouse Dorothée devient son assistante de vie, « l’ombre de son ombre », refusant comme lui de céder à la fatalité. Les pronostics les plus optimistes parlent de deux à trois ans d’existence chaotique, submergée par la peur. Et sans repos. C’est l’histoire de ces deux êtres « emmurés vivants », acceptant tous les sacrifices pour conjurer le sort, triompher de la mort. C’est l’histoire extraordinaire de ceux qui partagent le calvaire des souffrants.
• Pourriez-vous vous présenter pour les lecteurs de Fresh Mag Paris ?
Je suis Dorothée Salat, une native du Nord. J’ai suivi mon mari Alain en Normandie où l’on y a habité pendant cinq ans. On y avait une entreprise qui était tout autre que ce que je fais actuellement. Nous avons eu ensemble un petit garçon prénommé Armand.
En 2005, mon mari est tombé malade. Il avait la maladie de Charcot, qui lui donnait peu de temps pour vivre. En 2008, on a vendu la maison pour aller vivre en Provence. Nous avons décidé d’habiter là-bas pour pouvoir vivre ses dernières années comme les plus heureuses possibles.
Mon mari m’avait dit : “-J’aimerais avoir un domaine viticole. Même si cela demande un travail à long terme sachant que moi, j’ai une vie qui sera à court terme.” Je pense que pour lui, ça lui permettait de se projeter alors que la situation était très compliquée. On lui a proposé à l’époque un domaine à 15 km d’Aix-en-Provence. Nous l’avons visité et nous sommes tombés sous le charme du domaine de La Grande Bauquière. Nous l’avons donc acheté en 2012.
Vous avez sorti un livre Emmuré(s) vivant(s) aux éditions Plon relatant à la fois une histoire d’amour poignante et le travail passionnant du vignoble. Pouvez-vous nous parler de votre histoire ?
J’ai voulu transmettre cette histoire pour montrer que même dans des circonstances, on va dire, très difficile, voire très douloureuse, on peut quand même se projeter. En particulier ici, on sait qu’avoir un domaine viticole, ça demande des années et des années de travail et de développement.
Quand vous commencez tout de A à Z, c’est très long. Mais l’important pour moi, c’est qu’il faut toujours avoir des projets. Alors c’est facile à dire quand on a la santé. Mais je peux d’autant plus le dire que j’avais la santé, mais mon mari, lui, ne l’avait plus.
Mais le fait de se projeter dans ce domaine qui, pour lui, a toujours été son rêve, lui a permis sûrement, aussi avec l’aide de ses proches, de tenir assez longtemps. Il a été malade en 2005 et est décédé en 2019. Sachant que l’espérance de vie quand on est atteint de la maladie de Charcot est entre trois à dix ans maximums.
Je voulais aussi montrer que l’important dans la vie, c’est d’avoir aussi des bons moments de partage, de profiter du moment présent, de se projeter et d’avoir des buts passionnants. Dans cette maison où nous étions tous ensemble, il y avait quand même un grand malade. Mais on essayait toujours de rester gais et positifs.
Mon fils, qui a maintenant 21 ans, me disait lui-même qu’il se souvenait que c’était génial car à la maison, on avait toujours du monde, qu’on faisait des repas, des dîners… On allait toujours de l’avant. Autant que possible.
J’ai soigné mon mari jour et nuit et j’ai perdu pied. Parce que c’était non-stop, ça demandait une énergie considérable. Je faisais notamment les changements de pansements et de poches entre trois et cinq fois par nuit. Il n’y avait pas de pas assez de professionnels de santé disponible parce qu’on était dans un petit village. J’ai fait une dépression. Ce qui m’a surprise parce je suis quelqu’un de plutôt positive, qui sourit toujours et qui ne laissait pas transparaitre sa souffrance. Je suis tombé dans une forme d’anorexie qui m’a fait maigrir énormément. J’ai dit à mon mari : “-Tu sais, j’arrive plus à soigner, je ne peux plus.” J’ai transmis cela dans ce livre parce que j’avais besoin de m’expliquer. C’est une sorte de thérapie pour moi. Je voulais m’enlever un poids, m’enlever la culpabilité. Parce que j’ai longtemps culpabilisé de plus y arriver.
Comment s’est déroulé le processus d’écriture de votre livre ? à quel moment avez-vous décidé de vous lancer dans l’écriture ?
Avec mon mari, on a pris du recul et on est allés en Corse où on avait une maison. C’est là-bas où on a décidé que l’on habiterait chacun son côté pour que de mon côté que je reprenne des forces. On a fait cela pendant dix ans, en continuant toujours à lui donner des soins le plus souvent possible. Mon mari a été compréhensif, il avait vu ma perte de poids. Cette décision a permis de sauver ma peau.
Le livre m’a permis aussi de dire “-Pensons un peu aux aidants des personnes malades.” Car personnellement, en tant qu’aidante, je me disais que je n’avais pas le droit de me plaindre. Mais c’est dur car après vous tombez dans l’ombre de la personne malade, vous devenez son ombre. Voire l’ombre de son ombre Je me disais qu’en fait, je n’existe plus. Certaines personnes, qui elles aussi étaient aidantes, ont lu le livre et m’ont remercié pour avoir abordé ce sujet. J’en ai été profondément touchée. Tant mieux si ce livre a pu aider. Moi, il m’aura aidé en tout cas.
Je parlais à mes amis de l’envie que j’avais d’écrire un livre et mes amis m’encourageaient à le faire.
Quelques temps après, en Corse, j’allais prendre l’apéritif chez une amie voisine. J’y ai rencontré Jean-Michel Riou, qui était écrivain. Après avoir mangé avec eux, je leur racontais mon histoire et le fait que je cherchais quelqu’un pour m’aider à écrire l’ouvrage. Quelques jours après, Jean-Michel m’appelle pour me proposer d’écrire avec moi ce livre. Ce que j’ai accepté.
J’ai gardé des exemplaires avec le titre précédent et c’est ces ouvrages là que je préfère montrer à mes amis. Mon mari l’a lu, mon fils l’a lu. Et je souhaite que mes petits enfants puissent le lire pour connaître la vie de leur grands-parents. C’est tellement important parce qu’on était plein de joie et de productivité. Donc si ça peut se transmettre, ça serait très bien.
Pouvez-vous nous parler du domaine que vous avez acheté avec votre mari ? Avez-vous déjà la passion de la vigne à l’époque ?
C’était lui qui avait cette passion de la vigne à la base et qui m’a initié à cela, avec la dégustation des bons vins. Que ce soit des vins de Provence, de Bourgogne, de Bordeaux…C’est devenu une passion qu’il m’a transmise et qui m’a permis de faire découvrir de jolies choses.
Ce qui me touche dans le travail viticole, c’est le fait que vous produisez votre propre produit, votre propre vin, en symbiose avec la nature.
Quand je vois que comment les gens réagissent quand l’un de ces vins arrivent sur la table, et qu’ils me disent qu’il est bon, c’est formidable.
C’est passionnant de pouvoir créer ces vins. Ils possèdent tous ces parfums et ces arômes de fruits intenses, ces belles robes, ces senteurs…
Le travail du vignoble est tellement passionnant parce que vous mettez quand même tout votre cœur dedans. Notamment dans les assemblages, que je travaille avec mon directeur, un œnologue qui gère la partie technique et avec qui on crée les vins.
Dans le Domaine La Grande Bauquière, on crée des cuvés d’apéritifs ainsi que des cuvées de gastronomie. Il y notamment le vin d’entrée de gamme avec Le B Création. Il y a aussi des cuvées qui s’appellent “Les Moments “, avec “Le Moment Inattendu”, “ Le Moment Suspendu”, Le Moment Singulier”… Ces cuvées me tiennent à coeur car elles sont liées avec mon histoire personnelle. Parce que, pour moi, le moment présent est très important.
Quand on a un petit bout de ciel bleu qui apparait dans les moments sombres, des instants où on parle plus seulement de maladies, c’est comme une respiration. Ce sont des moments inattendus, suspendus, singuliers. Ces cuvées font références à ces moments précieux à savourer et qui aident à avancer dans la vie en fait.
Avez-vous des projets pour les années à venir ?
Au Domaine La Grande Bauquière, on est en conversion bio depuis un an pour avoir la certification bio que l’on aura donc d’ici deux ou trois ans. On a déjà obtenu le label HVE l’année dernière.
J’ai des projets par rapport à l’architecture du Domaine. Pour rénover notamment une très belle bastide du 18e et la bergerie, qui font entre 700 et 1000 m2. On va retravailler aussi une cave de vinification, notre outil de travail.
Ce sont des projets importants pour moi parce qu’avant que mon mari parte, je lui ai montré ce que je voulais faire du domaine et il a approuvé mes plans en me disant : “-Ne change rien, ma Doro.”
Ce sont des mots qui me marqueront toujours et qui me motive à conserver l’âme de ce domaine.
Quels conseils pourriez-vous donner à une personne souhaitant se lancer dans le domaine viticole ?
Être persévérant et passionné, ce sont les deux maîtres mots. Car ce serait compliqué, c’est un travail qui demande du temps et de la persévérance. Mais si on a la passion et la motivation, on peut y arriver.
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